Comment oublier cette silhouette élégante qui descend le ponton des Sables d’Olonne dans son keikogi sombre, bokken de bois à la ceinture, un sourire lourd d’émotions barrant son visage illuminé par la joie pure d’être là, au départ de son deuxième Vendée Globe ? Et comment oublier, 94 jours, 21 heures, 32 minutes et 56 secondes plus tard, ce sourire encore plus éclatant sous ces deux poings lancés vers cette grand-voile déchirée qui, tout le long de sa course, a menacé son rêve ? Celui d’être le premier Asiatique à finir le Vendée Globe, enfin, en 2021, quatre ans après avoir dû renoncer dans un démâtage au large du cap de Bonne-Espérance. L’exploit accompli, Kojiro Shiraishi aurait pu en rester là. Mais c’est mal connaître le prodige japonais, amoureux des océans et de leur envoûtante poésie autant que de la discipline exigeante imposée par la compétition sportive. Cette fois, c’est par gratitude envers tous ses sponsors et soutiens que le marin veut à nouveau boucler la boucle et tenter de se dépasser, comme pour mieux savourer et partager ses épreuves et ses succès, toujours accompagnés d’une bonne dose d’humour contagieuse. En embarquant à nouveau à ses côtés toute une nation qui découvre avec lui l’aventure folle d’un tour du monde en solitaire et sans escale abordé avec humilité et abnégation, et une petite bouteille de saké pour célébrer chaque petite victoire.
Vendée Globe :
Dans quel état d'esprit abordes-tu ce troisième Vendée Globe ?
Kojiro Shiraishi
DMG MORI Global One
Rien ne change sur mon état d'esprit. Je pars à chaque fois comme si c’était la dernière. Cela veut dire que je pars pour ne rien regretter et faire de mon mieux sur chaque course que j’entreprends.
Vendée Globe :
Qu'est-ce qui a évolué pour toi en quatre ans ?
Le bateau devient de plus en plus exigeant, et de mon côté j’ai pris quatre ans de plus et j’ai maintenant 57 ans ! L’enjeu c’est de pouvoir et savoir contrôler mon bateau pour que je ne me blesse pas. Pour ça, j’ai beaucoup travaillé avec un coach sportif pour construire un corps qui ne casse pas et ça m’apporte énormément pour la course.
Vendée Globe :
Tu repars sur le même bateau que lors de ton précédent Vendée Globe, mais il y a aussi eu quelques changements, n’est-ce pas ?
Oui, nous avons changé l’étrave et avons mis des nouveaux foils en 2023. Le bateau est beaucoup plus performant dans de la mer formée et les nouveaux foils permettent au bateau de voler dans des vents plus légers. Grâce à ces modifications, il est au goût du jour et j'espère pouvoir régater avec les bateaux des années 2020 !
Vendée Globe :
Enfin, qu’est ce qui a changé pour ton équipe ?
Nous avons créé la DMG MORI Sailing Academy pour accompagner des jeunes dans la course au large. Ils sont skippers mais pas que, car tous ont suivi un cursus d’ingénieurs et nous ont aidés dans le bureau d’études qui a été lancé dans le team, pour suivre les améliorations du bateau et le chantier du nouveau bateau qui va être construit chez Multiplast.
Vendée Globe :
Comment tes aventures océaniques sont-elles perçues au Japon ? As-tu vu des évolutions en quatre ans depuis que tu es finisher du Vendée Globe ?
Depuis 2016 et ma première participation au Vendée Globe, il y a eu beaucoup de changement dans la voile hauturière au Japon. Un petit groupe de jeunes Japonais ont un intérêt croissant pour la course au large, et nous avons deux jeunes Japonais dans l’Academy en France et trois autres dans l’Academy au Japon. En plus de nos academiciens, il y a aussi deux autres Japonais, un homme et une femme qui sont dans la classe Mini 6.50. Nous avons aussi pu emmener l’IMOCA au Japon en 2022, et nous avons pu le faire visiter à près de 2000 personnes dans quatre villes du pays. Il y a eu un gros engouement autour de mon projet après le Vendée Globe, notamment grâce à la diffusion hebdomadaire d’une émission dédiée au Vendée Globe sur TV Asahi, chaîne nationale japonaise. Jusqu’à présent, il n’y avait encore jamais eu d’émission comme celle-ci et le fait que cette chaîne ait créé une émission à destination du grand public a permis de mettre en lumière la voile et de faire découvrir cet univers à des personnes qui n’y connaissaient rien !
Vendée Globe :
Qu'est-ce que tu attends de ce nouveau tour du monde ?
A chaque fois, les thèmes de mes Vendée Globe changent. Cette fois-ci, c’est la gratitude envers mes sponsors. J’ai réalisé mon rêve de finir le Vendée Globe en 2020 grâce à mes sponsors. Cette fois-ci, je cours pour les remercier de m’avoir accompagné dans ce rêve fou.
Vendée Globe :
Est-ce qu'il y a des choses que tu veux faire différemment ?
Maintenant que le bateau est plus rapide, je voudrais être aux avant-postes et régater avec mes camarades. La première semaine est toujours compliquée pour moi avec le mal de mer, mais je suis un diesel, je commence doucement pour finir fort. Donc j'espère ne pas être trop distancé au début pour pouvoir rester dans le match !
Vendée Globe :
A part la Route du Rhum, tu as terminé toutes les courses auxquelles tu as participé ces dernières années. Est-ce que c'est ça l'image que tu veux incarner en tant que marin : celui qui va au bout et n'abandonne jamais ?
Oui, je suis persévérant, et je n’abandonne jamais. C’est pour ça aussi, que c’était un crève-cœur d’avoir abandonné sur la Route du Rhum, c’est une course que j'aimerais refaire et finir !
Vendée Globe :
Dans tes communications, tu exprimes pourtant parfois ta douleur et tes souffrances physiques. Est-ce que c'est quelque chose que tu appréhendes sur ce Vendée Globe ?
C’est vrai que physiquement, ces bateaux à foils sont rudes pour le corps humain. Les bateaux de nos jours sont fermés et c’est difficile de profiter de la mer comme auparavant. C’est difficile de trouver de la beauté dans ce que l’on fait. Les étoiles et la mer ne sont pas aussi brillantes que dans mes anciens tours du monde.
Vendée Globe :
Peux-tu nous partager justement ton plus beau souvenir en mer ?
Lycéen, la première navigation que j’ai faite était sur un thonier Japonais, c’est quelque chose qui m’a touché. A l'époque, les mers autour des ports japonais étaient très sales et sentaient très mauvais. Quand je suis monté dans ce bateau et que nous sommes partis au large, j’ai vu que la mer était incroyablement bleue. C’est ça mon plus beau souvenir en mer.
Vendée Globe :
Et ton plus beau souvenir sur ce bateau ?
Sur ce bateau, c’est forcément l'arrivée du Vendée Globe en 2021 ! J’avais rêvé de ce moment depuis plus de trente ans. Pour une personne asiatique qui ne parle ni anglais ni français, qui vient en France, et crée une équipe avec de fabuleux sponsors, c’était incroyable. C’est le moment où mon rêve s’achevait. J'étais extrêmement fier.
Vendée Globe :
Et si celui-ci est atteint, as-tu maintenant un rêve encore plus fou ?
Moi, je suis épanoui, mais si jamais un jour, un skipper japonais qui a eu cette vocation du large vient gagner le Vendée Globe, alors je serais très fier de moi et peut-être que c’est mon rêve le plus fou.
Vendée Globe :
Quel est le marin qui t'inspire le plus ?
Mon maître, Yukoh Tada est le marin qui m’inspire le plus. Un simple conducteur de taxi qui fait des courses à la voile, qui en plus gagne une course autour du monde (207 jours au BOC Challenge entre 1982 et 1983, ndlr), sans parler anglais, c’est un peu comme moi. C'était un artiste, une personne avec beaucoup d'idées folle. C'était une personne avec une énergie incroyable et c’est ça qui m’inspire le plus chez lui.
Vendée Globe :
Il y a quatre ans, tu avais dit que tu voulais profiter du Vendée Globe pour apprendre le français mais que finalement les foils étaient trop bruyants pour te concentrer... Où en es-tu de ton apprentissage de la langue de Molière ?
J’ai pu parler un peu le français lors de la conférence de presse à Paris ! Et pour cette fois, je fais de mon mieux pour pouvoir chanter “Aux Champs Élysée” à mon arrivée du Vendée Globe.
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Rencontre avec Kojiro Shiraishi, DMG MORI Global One | Vendée Globe 2024